La scène se déroule à Astrub. Les faubourgs ouest, non loin de ce petit lac qui rend la ville si charmante. Le quartier est plaisant, accueillant, mais finalement assez peu fréquenté. La raison ? Des effluves provenant de la poissonnerie voisine hantent l’endroit, mêlées à l’odeur des abattoirs tous proches elles font fuir le touriste et rebutent les investisseurs.
Rapprochons-nous quelque peu.
Une large rue. Une voix enfantine s’y fait entendre. Telle une vendeuse à la criée elle tente d’attirer un client dans ses filets. "Elles sont belles mes carpes ! Caaaarpes d’Iem ! Elles sont fraaaaaîches mes carpes !"
Une svelte ecaflip passe non loin de la petite vendeuse. Regardons celle-ci de plus près. Petite, oui, jeune ? La voix est certes fluette mais les dizaines de mètres de bandelettes soigneusement fixées à son visage empêchent au badaud de lui donner un âge précis.
L’écaflip dévie de quelques largeurs de botte son pas pressé en direction de Lilitanelle, semblant intéressée par son offre, mais se ravise aussitôt, reprenant ses esprits et sa route rapide vers le bas de la rue. Mais cette hésitation n’a pas échappé à notre pêcheuse ! Un client de ferré ! Elle se lance à la poursuite de l’écaflip, galopant de ses petites jambes pour soutenir son rythme rapide, et hurlant sans cesse "Eeeeelles sont beeeeeelles mes caaaaarpes ! Caaaarpes d’Iem !"
La subtile ruse porte ses fruits. La féline s’arrête et l’attend devant la porte d’un grand bâtiment. "Le client mord à l’hameçon" pense Lilitanelle en s’approchant, l’humeur joyeuse.
"Encore toi ?" lui répond l’écaflip, qui semble chercher quelque chose dans ses larges poches. "Je n’ai pas besoin de tes poissons. Mais essaye de les vendre à des gens puissants de ma race, ils les adorent." Elle trouve enfin ce trousseau de clefs fugueur et se tourne vers la porte de la bâtisse, feignant d'ignorer son interlocutrice.
Mais madame ! Vous-même êtes trèèès puissante à en juger par vos atours ! Vous adorez à coup sûr ces succulents poissons !
L’écaflip se retourne lentement vers la petite, tiraillée, un chat blanc auréolé imaginaire semblant combattre un chat rouge cornu, tout aussi imaginaire. Ses yeux lorgnent vers la sacoche dans laquelle reposent ses appétissants délices de papilles. "Je ... je n’aime pas vraiment les carpes ... Et puis ... et puis j’ai à faire !"
Lilitanelle utilise alors l’ultime stratagème anti-félin. Ses yeux de Chat Potté exterminent toute velléité de résistance de la part de sa cliente. La trentaine de carpes change de main, ou de pattes suivant la personne.
L’écaflip entre dans la grande bâtisse en maugréant. La petite xelor s’assied sur l’herbe près de la porte, savourant sa victoire. "Quelle idiote" pense-t-elle, "ces gros chats sont tellement prévisibles ..." Mais un client est un client, et celle-ci semble très riche au vu de la façade de sa maison. Lilitanelle est plongée dans ses rêves de richesse et de gloire, elle aperçoit tout juste le cortège passant près d’elle. Peut-être cette maison n’appartient-elle pas à cette écaflip ? Toutes ces personnes si disparates entrent eux aussi. Un archer crâ, une fée, une première fille aux mains pleines de sang, une seconde entrant par la cave, l’air ahuri. Que se trame-t-il ici ? La pensée que ce sont autant de clients potentiels dépasse la curiosité, elle décide d’attendre patiemment devant la porte.